Le communiqué ci-dessous peut-être téléchargé en ligne en pdf en cliquant sur ce lien
Moncayolle le 16 mars 2019
Mesdames, messieurs les correspondants locaux,
J’ai le plaisir de vous annoncer ma participation aux journées des métiers d’art qui auront lieu du 1er au 7 avril 2019. A cette occasion mon atelier sera ou
Voir les informations à propos de ces journées ici : https://www.journeesdesmetiersdart.fr/ et sur la page qui me concerne : https://www.journeesdesmetiersdart.fr/atelier/lhorloge-comtoise-ancienne
Mais cette année est un peu spéciale à mon goût. Mon métier est en difficulté et nous sommes en pleine révolte des Gilets jaunes et il se trouve que je ne peux que m’identifier aux nombreuses déclarations issues de ce mouvement social depuis de nombreux mois.
J’entends certains s’exprimer… les gilets jaunes menaceraient l’économie par leurs blocages et leurs manifestations. Vraiment ? Quant à moi, voilà 23 ans que je suis à mon compte en tant qu’ « artisan d’art » et voilà 23 ans qu’un certain système économique en place menace mon métier. Quel que soit son masque ; qu’il revête celui de Chirac, de Mitterand, de Sarkozy, de Hollande, de Macron, nous sommes depuis trop longtemps dans le même système politique… Les gilets jaunes mettent le doigt sur ce système qui détruit à petit feu et depuis longtemps le commerce local, l’ « artisanat d’art » et l’artisanat tout simplement, un certain type d’agriculture, un certain rapport à la nature, à la culture, un certain rapport à l’autre. Je vis et travaille à la campagne et je vois bien que le monde rural va mal à cause d’un système économique du tous contre tous, dans un délire de compétition, de concurrence débridé, et une obsession du lucre et de rentabilité.
Je ne me suis jamais exprimé en tant qu’ « artisan d’art ». Aujourd’hui, je le dis haut et fort, mon métier est en train de rendre l’âme et cette destruction est programmée. Et ce n’est pas par le mouvement des gilets jaunes.
Je suis « artisan d’art »… c’est-à-dire que je restaure l’horloge comtoise ancienne. Au 19ème siècle, des hommes, des femmes, des enfants ont travaillé comme des forçats pour produire un objet extraordinaire, un instrument de mesure d’une ingéniosité inégalable et d’une beauté incomparable qu’il est bien difficile de reproduire aujourd’hui. Ces mécanismes fabriqués entre 1820 jusqu’au début du 20ème siècle continuent de fonctionner aujourd’hui, parfois sans avoir eu à subir une quelconque révision, parfois même sans une seule goutte d’huile. Les décors des boîtiers étaient faits à la main selon une technique qui a disparu aujourd’hui. Que vaut cet objet aujourd’hui dans le marché ? Pas grand-chose, parce que le marché dicte ce qui doit avoir de la valeur dans nos vies. Quel crachat à la tête des ouvriers / paysans de l’époque ! Heureusement, ils existent encore, celles et ceux qui savent ce qu’est un objet d’art populaire, ce que représente une horloge comtoise, le travail de nos ancêtres, la mémoire des travailleurs et la mémoire familiale… on ne détruit pas facilement la mémoire populaire. Mais le rouleau compresseur avance tranquillement droit devant. La technologie, le court terme guident nos choix et le système industriel avance ses pions.
Il y a quelques mois j’appelle la chambre des métiers pour demander un extrait d’immatriculation au répertoire des métiers. Car c’est ce document-là qui nous est demandé par les organisateurs d’exposition. Jusqu’à présent on nous envoyait ce document gratuitement par la poste. Cette année on me donne une adresse internet pour télécharger le document. J’arrive sur la page d’accueil et je constate qu’il faut payer 5 euros pour obtenir ledit papier. Je rappelle le secrétariat pour avoir confirmation. Les mots ont du mal à sortir de ma bouche. 5 euros pour télécharger un document valable 3 mois ? 5 euros pour un papier que je vais imprimer moi-même ?! C’est probablement ce qu’on appelle la révolution technologique. 5 euros, parce que vous comprenez, les dotations de l’Etat ont baissé… donc pour remplir la caisse on a pensé à nous. Ça fait un peu penser au projet du gouvernement de baisser de 5 euros le montant versé aux bénéficiaires des aides personnalisées au logement.
Il y a quelques années, j’expose mon travail à Pau au salon de l’habitat. M. le maire François Bayrou passe devant mon stand et s’y s’arrête, suivi par une cohorte de journalistes, de photographes, d’élus et de responsables du parc des expositions. M. Bayrou me demande si je vends des boîtiers de comtoise. Il m’explique qu’il a chez lui un vieux mécanisme mais qu’il ne possède plus la gaine en bois qui doit le protéger. Je lui explique que je ne vends pas du neuf, mais que j’ai peut-être à l’atelier un vieux boîtier qui correspondrait au mécanisme, que je peux restaurer et lui vendre. Il me demande le prix. Je lui annonce. Il fait un grand « OUF » d’étonnement, tourne les talons et s’en va sans mot dire. Qu’un ouvrier d’usine, un retraité, un petit paysan, lève les yeux au ciel quand j’annonce un tarif… je pourrais le comprendre, même si ce n’est jamais arrivé. Même ceux qui ne m’ont pas confié leur comtoise à restaurer après m’avoir rencontré dans un salon, ont toujours eu la décence de respecter le travail de l’artisan que je suis.
Il y a quelques semaines un monsieur m’appelle et me dit qu’on lui a proposé une vieille comtoise d’occasion. 20 euros pour l’ensemble. Il me demande si ça vaut le coup. Là je sens que mon métier est mort. Et sont morts une seconde fois les artisans-paysans du Jura. Je n’en veux pas au monsieur. Je sais parfaitement qui est le responsable.
Bout à bout, voilà un ensemble de petites choses qui donne juste envie de renverser la table.
Ce qui a de la valeur aujourd’hui, c’est le luxe - tout ce que ne pourra jamais obtenir le pékin moyen - et ce qui est fabriqué aujourd’hui par le système industriel pour être jeté si possible très très vite et racheté dans la foulée pour faire tourner les usines et nourrir les actionnaires aux dépends des travailleuses et des travailleurs et aux dépends d’une nature qui n’en peut plus de nos attaques.
Mon métier ne s’adresse ni aux classes supérieures, ni aux anciens ministres qui ne savent pas ou plus ce que c’est que de travailler de ses mains, ni aux services de l’Etat qui se préoccupent (ou pas) du patrimoine national. Il s’adresse aux classes populaires. Car l’horloge comtoise a été fabriquée par les classes populaires, pour les classes populaires. Il s’adresse à celles et ceux qui ont du respect pour le travail de nos ancêtres, pour ce qui leur a été transmis par leur ancêtres. Le système économique actuel méprise ce qui ne nourrit pas des intermédiaires et des actionnaires sans scrupules. Et plus le système industriel méprise l’humain, la nature et la culture populaire, et plus cette tranche de gens à qui mon métier s’adresse se réduit.
Alors, pour ces journées des métiers d’art, je m’adresse aux gilets jaune à qui je voudrais exprimer mon soutien. Et je pense aux classes populaires qui continuent quotidiennement à subir l’exclusion, les « chercheurs d’emplois », les allocataires du RSA, les travailleurs pauvres, les handicapés... Je m’adresse à celles et ceux qui ont été victimes de violences policières, celles et ceux qui ont perdu un bras, un oeil, qui se sont fait tabasser et gazer ces dernières semaines. Petit paysan, petit artisan, ouvrier, infirmière, commerçant, salarié, enseignants, étudiants, retraités… pas besoin d’être grand clerc pour comprendre ce qui nous réunit et ce qui nous menace...
C’est vous que j’invite à ces journées des métiers d’art qui auront lieu du 1er au 7 avril 2019.
Chères et chers correspondants locaux, je vous remercie de bien vouloir partager cette information.
En vous remerciant par avance
Laurent Caudine
Artisan, restaurateur d’horloge comtoise… jusqu’à quand ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire